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Mademoiselle Dusk
20 octobre 2013

Pourquoi l'entreprise est bête ?

En ce moment on entend partout parler d’ « économie de la connaissance ». Apparemment nous allons entrer dans une nouvelle ère dans laquelle nous allons tous devenir des salariés « sachants » et dans laquelle les entreprises vont devenir très intelligentes. Permettez-moi d’exprimer un doute.

L’entreprise est consanguine

Pour être intelligente, l’entreprise ne recrute que des diplômés d’écoles de commerce ou d’ingénieur. Qu’est-ce qu’une école de commerce ? Une école conçue par la chambre de commerce, donc par des entreprises, pour former ses futurs cadres. Dans cette école aux frais d’inscription coûteux entrent majoritairement des fils de cadres, qui apprennent à faire des soustractions et des divisions, toujours les mêmes, qu’on appelle des « ratios » pour faire savant. Nul besoin de connaitre l’addition pour faire HEC, la soustraction suffit. Sur le plan conceptuel leurs professeurs, issus de l’entreprise, leur parleront de la brillante façon dont ils ont lancé Ultra Doux en 1982, avec des sanglots dans la voix. Un peu de sport pour l’esprit d’équipe, un bureau des élèves pour les pics hormonaux, et l’affaire est dans le sac, nos fils de cadres sont prêts à encadrer. (Encadrer qui c’est plus compliqué car il ne reste que des robots dans le secondaire et que l’automatisation est en marche dans le tertiaire, mais c’est un autre sujet). Consanguins jusqu’au trognon, nos petits amis les jeunes « cadres » applaudissent dans des réunions sans fin ou on leur annonce qu’il faut appliquer les valeurs de l’entreprise « Enhance profitability, Be compliant, Love». Même si les plus jeunes émettent quelques doutes, ils sont dans l’incapacité totale de remettre en question quoi que ce soit dans le système dans lequel ils évoluent, puisque ce week-end ils partent à la Baule chez belle maman qui est si sympââââ et qu’ils croiseront sûrement le PDG à un barbecue.  « La Bretagne ça vous gagne ». Enfin « la Bretagne c’est la gagne » plutôt. Comme dans la vieille série les Visiteurs, et pour encore plus de sécurité, nos amis consanguins se reconnaissent entre eux grâce à une de ces petites bagues à blason qu’ils portent au petit doigt. Faites le test : regardez toutes les photos de PDG annonçant des plans sociaux dans la presse dans les 10 dernières années. Les deux tiers portent cette bague.

L’entreprise ne sait rien faire

L’entreprise ne recrute que des temps partiel, des stagiaires, des intérimaires. C’est le salariat, mais en mode « pay per use ». Ou bien des free- lance, c’est mode, surtout pour refaire le logo ou le site internet. Pour faire chic on appelle ça des « slashers », ce qui veut dire qu’ils sont graphistes le matin et diététiciens le soir. Ils sont surtout crève-la-faim toute l’année.

L’entreprise fait aussi appel à des sous-traitants issus de SSII sinistres - des droopy  grisâtres en chaussettes mickey - qui restent travailler tard quand le module SAP FICO qu’ils développent à grand peine buggue, à des consultants en process reengineering - des Siri sur pattes avec des boutons de manchettes-  qui poussent du triangle sur des powerpoints usés jusqu’à la corde à force d’avoir retourné l’organisation dans tous les sens. Parfois les consultants oublient de changer la date dans le pied de page du powerpoint et on peut lire « Bossard Consultants 1997 ». Donc grosso modo on peut dire que toute la base de l’entreprise est constituée de gens qui ne connaissent pas le métier de l’entreprise, ni le secteur ou la filière dans laquelle elle évolue.

L’entreprise adore conclure des alliances et des partenariats avec d’autres entreprises, comme ça elle fait croire au client qu’elle sait faire quelque chose alors que ce sont des start-ups ou des centres de recherche qui inventent des trucs pour elle. Après elle dit « c’est moi qui l’ai fait » comme Valérie Lemercier dans la pub pour une vielle quiche 80’s. En général elle a acheté le brevet, et les gars de la start up se sont sauvés au bout de 6 mois passés à bouffer du Deroxat pour réussir à venir bosser à la Défense. Ne reste plus qu’à trouver une nouvelle start up à acheter en regardant les annonces sur Le Bon Coin.

Le middle management est composé des fils de cadre (les enfants du voisin du PDG en Bretagne) dont on a déjà parlé, qui ont passé trois ans à glander et baiser sur le plateau de Saclay.

Quant au PDG  lui-même il n’a qu’une compétence : lire des reportings sur excel et regarder si la bottom line est très bottom ou pas trop bottom ce mois-ci.  Un petit programme développé en Inde lui fait apparaitre la case en rouge si c’est très bottom. En ce cas  il lancera un grand programme (un mail) qui consiste à dire au middle management qu’il faut mettre un peu la pression sur les free-lance parce que franchement ces gens-là on en ramasse à la pelle, c’est des crève la faim quand même. Comme ça on refait le site web pour demain matin ou on change de nom et hop ! les clients croiront que maintenant on vend des choses qui servent à quelque chose. Si les free-lance n’arrivent pas à refaire le site en une nuit c’est que ce sont des fainéants puisque de toutes les façons on ne connait rien à leur métier et qu’on a un doute sur le fait qu’ils sachent faire quelque chose qui sert à quelque chose.

L’entreprise est conforme

L’entreprise adore se moquer de l’état qui fabrique trop de lois et de contrôle, mais elle-même adore  inventer des processus, les documenter, et les faire appliquer par des fonctions qui ont uniquement vocation à vérifier la conformité au processus qu’on a inventé. Ces fonctions de contrôle ne nécessitant pas trop de jugeotte, puisqu’il suffit de contrôler point à point la conformité de ce qui est fait par rapport au processus dessiné par le consultant, comme quand on joue au jeu des 7 erreurs, on pourra les confier aux jeunes issus d’écoles de commerce, que l’on baptisera du terme pompeux de « middle management ». On occupe ainsi utilement le fils de son voisin en Bretagne sans lui faire mal au crâne. La crise venant on commence à se demander si on ne va pas réduire un peu cette couche intermédiaire de management qui coûte bien cher quand même, même si c’est le fils de notre voisin, d’autant plus qu’on va coller des robots partout.

On n’aura qu’à déclarer qu’on va faire « une organisation plate », « une organisation en mode 2.0 », ça fera très très chic dans les journaux RH. Une "organisation pizza", quoi.  Et fils du voisin on pourra le recaser en Asie sur un marché en croissance ça lui plaira il bourra se taper deux trois chinoises pendant sa période d’expatriation, elles ont la chatte étroite, ça lui rappellera le plateau de Saclay et ça fera chic sur son CV.

Enfin l’entreprise a aussi très peur de dire des bêtises à l’extérieur, c’est pour cela qu’il est totalement vain d’aller dans une conférence où s’expriment des chefs d’entreprise. Autant manger une bonne assiette de plâtre !

L’entreprise est bête, parce qu’elle est faite pour être bête. Donc l’économie de la connaissance ne peut pas venir d’elle, à moins d’être une imposture.

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Commentaires
V
Pour apporter un peu d'eau à votre moulin... http://www.bastamag.net/article3432.html
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N
En tant que fonctionnaire de carrière, j'aime beaucoup ce texte, qui me rassure de mes choix de vie et mes plans cul d'un soir. <br /> <br /> <br /> <br /> Nous devrions coucher ensemble, je vous parlerai service public, intérêt général, Artt, et surtout accueil de l'usager !
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V
J'ai pas de bague a blason. J'ai bien plus de chance d’être dans la prochaine charrette qu’être celui qui la pousse. On trouve aussi des bonnets rouges avec bague a blason en Bretagne ? (non, ce n'est pas une question ornithologique, quoi que puisse en dire CUI CUI...)
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O
Bonjour gentes gens, et bienvenue dans la vraie vie. <br /> <br /> Tout d'abord je tiens à saluer madame Dusk, oui je dis madame depuis qu'un groupe de gens dont je ne suis pas certain qu'ils soient si nombreux et représentatifs que ça, voire dont je ne suis pas certain qu'ils soient très différents des gens décrits dans cet article ... mais je m'égare.<br /> <br /> Donc je salue Mme Dusk pour ce bel article, ce beau post sur le fond de sa pensée. Oui, le fond, à droite en sortant de l'ascenseur. Ho je dis ça, mais ce n'est certainement pas méchant : je retrouve là beaucoup de points communs avec mes propres pensées (ou pas si propres que ça ... m'enfin bref) et observations de la vie que je vois se dérouler tout autour de moi, chaque jour que D... Murphy fait (bah oui, c'est bien le seul dont je puisse observer qu'il semble bel et bien avoir façonné le monde). Je dis ça, hein, c'est pas comme si mon chef, un blaireau fini (ou pas fini, ça dépend comment on voit les choses) et parfaitement incompétent (sauf pour faire des tableaux Excel et des powerpoint), était le mari de la cousine du pdg de ma boîte, genre, par exemple. Juste un exemple ...<br /> <br /> Mais il y a un point sur lequel je souhaiterais apporter une contribution à cette éclatante pensée : l'entreprise est donc peuplée de cons, certes. Et des cons qui restent entre eux, qui résistent farouchement à tout développement d'une quelconque forme d'intelligence humaine, et qui se reproduisent en plus. Et ils sont pernicieux, les sagouins : ils sont partout, semblent gangréner les media, même toute la société ...<br /> <br /> Mais d'où viennent-ils donc ? Je veux dire : avant l'école de commerce ? Il y a bien eu une sorte de "patient zéro", ou disons un "groupe de personnes zéro", logiquement ? Et comment se sont-ils donc aussi vite répandus, au point de devenir majoritaires dans certains quartiers parisiens, refoulant ainsi le bon peuple dans les ghettos qui ceignent la capitale ?<br /> <br /> Bon je pose ces questions, là, mais c'est juste rhétorique : perso j'ai déjà ma petite idée ...<br /> <br /> Mme Dusk ira-t-elle plus loin dans sa propre réflexion ? Ou s'agit-il juste d'un post "là j'ai besoin de me défouler, mais pas trop passque bon faudrait pas aller trop loin quand même et rester politiquement correct" ?<br /> <br /> Allez je vous aide : et si les gens qui font les entreprises aujourd'hui étaient hier exactement comme tout le monde ? Oui, tout le monde : vous, madame Michu, moi, les voisins d'à côté, votre chien ... Voire : et si c'était juste normal, vu comme l'être humain moyen est un gros con de base, ça ne pouvait pas tourner autrement non ? En plus, on est en France, ne l'oubliez pas : rajoutez donc "gros con de base égocentrique et égocentré".<br /> <br /> C'est bien ce qui me tue le plus d'ailleurs : me dire que tout ceci fait partie d'une évolution de la société, qui n'a rien de maladif dans le sens où c'est un mouvement bien trop large : le monde est ainsi.<br /> <br /> C'est le jeu, ma pauv' Lucette ...
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D
Caustique constat de la réalité, mais" l'entreprise" est-elle vraiment responsable? Fondamentalement, elle est le versant privé du développement d'un Etat Nation. L'Etat prend en charge les enjeux stratégiques et de long terme (militaire, énergie, infrastructures des transports...) qui composent l'intérêt général et/ou nécessitent des investissements tellement important qu'ils ne peuvent être supportés que par lui. Avec son écroulement, il n'y a plus de levier d'activités de grande ampleur, de protectionnisme (donc plus de réelle concurrence internationale, c'est à dire non faussée), plus de protection financière (donc n'importe qui peut acheter nos "champions nationaux" avec de la fausse monnaie imprimée par la FED), etc... PSA ferme même une usine en France car pour faire plaisir aux Etats Uniens ils ont du cessé de vendre aux Iraniens. C'était pas Flambie qui allait s'y opposer. Et il faut bien qu'elles se préparent au futur marché transatlantique, parce que le poulet élevé en plein air il va coûter un max plus cher que de la bonne volaille aux hormones et en dollars. Alors au final, ça tiendrait vraiment du miracle que des entreprises prennent des risques à proposer des produits et services garant d'un réel développement ou soient innovantes.
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Mademoiselle Dusk
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