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Mademoiselle Dusk
2 décembre 2013

Kapital humain

Tout le monde en France se lamente sur le chômage, cette fatalité. Effectivement il s’agit bien d’une fatalité, au sens de fatum, le destin. Le chômage EST le destin des travailleurs. (Au passage il est judicieux d’employer le mot travailleur et non celui de salarié, car si l’on fait la somme des CDD, Intérimaires et travailleurs indépendants en Europe, on atteint déjà 30% de la population active).

 

Les entreprises n’ont jamais trop aimé les travailleurs. D’ailleurs elles les rangent au poste « charges » comme le demandent  les référentiels comptables internationaux, et pas au poste « actifs », là où sont rangées les machines. Et pour cause : autrefois les travailleurs se syndiquaient,  brulaient des pneus devant les usines et séquestraient les patrons,  aujourd’hui ils sont « désengagés », se moquent de leur entreprise sur Twitter sous le pseudo de Fantômette, ou pire collent des virus dans les ERP en se prenant pour Jean Moulin. On ne peut pas les vendre facilement quand on fait une belle opération de fusion acquisition : ils font tout capoter en démissionnant, tout ça parce qu’ils ont peur de se faire racheter par un fond d’investissement. Et quand, en désespoir de cause, on se contente de les installer à Bezons, là où les mètres carrés sont nettement moins cher qu’à Neuilly, ils font grimper le taux d’absentéisme de 15%, au motif qu’il faut 4h de transport pour atteindre le site. Du coup, on en vient presque à regretter  l’époque où on pouvait les ranger les uns contre les autres comme des cuillers dans un grand bateau et les envoyer ramasser des bananes à  Hollywood.

 

Pourquoi  donc les entreprises ont-elles eu besoin de travailleurs au départ ? Pour effectuer différentes tâches qu’ils étaient seuls à pouvoir effectuer à l’époque concernée, comme labourer des champs, fabriquer des voitures, faire des recherches documentaires, de l’audit financier, ou dessiner des flèches qui s’enculent sur des powerpoints. Aujourd’hui, tout cela est réalisé par des machines : tracteurs géants, usines robotisées, Google, logiciels pieuvres qui font des audits, slides de process en libre accès sur des sites web. Dans le domaine des services à la personne, le robot Asimo de Honda viendra bientôt nettoyer le derrière de Tata Yvette à la place de Mme Coulibaly. Espérons juste que Tata saura régler la vitesse de la brosse rotative pour éviter de se retrouver avec un masque facial malodorant.  

« Mais il faudra toujours des ingénieurs pour programmer tout ça ! », mugissent  les mères de famille qui poussent leurs enfants à faire l’X à coup de soutien scolaire Acadomia. Oui. Il en faudra deux, ils auront fait le Harvard et le MIT, ils seront triathloniens, ils s’appelleront Zach et Pritpal, et ils travailleront  à Mountain View. Point barre. Tous les autres, les aspirants polytechniciens du monde entier, se sentiront subitement accablés d’un sentiment d’infériorité, et gavés de films sur Wolverine et ses super pouvoirs, s’endetteront chez Cofidis pour s’acheter chez Darty des exosquelettes Ekso Bionics et des barrettes mémoire pour la tête HP, achats somme toute superfétatoires pour regarder Confessions Intimes en mangeant des chips dans son canapé.

 

Quelques tâches restent pour le moment le domaine réservé des travailleurs. En voici la liste exhaustive.

La séduction (dite « branding ») : on a toujours besoin d’une jolie fille sur le capot d’une voiture au salon de l’auto, et les médecins généralistes se souviennent avec émotion des visiteuses médicales de Servier  qui parlaient si bien du Mediator la bouche pleine de sperme. Dans le même ordre d’idées, des armées d’homosexuels s’affairent en ce moment même sur le shooting du prochain spot pour l’Iphone 7.3_XST qui sera révolutionnaire car il disposera d’une fonction thermomètre.

L’aléas : les meilleurs directeurs de la stratégie ont du mal à prévoir les tsunami, et quand les robots qui réparent les centrales nucléaires cassées tombent à leur tour en panne à cause de la radioactivité, on est toujours content de pouvoir envoyer les « bio-robots », à savoir les humains, en faisant confiance à leur sens du sacrifice. Dans des cas moins graves, un pic de charge sur un site de production par exemple,  les travailleurs intérimaires sont appelés à la rescousse, pour maintenir la qualité que les machines en surchauffe ne savent plus livrer.

Les réclamations : les travailleurs sont parfaits pour jouer les Monsieur Malaussène au comptoir du SAV de Darty. Ledit comptoir est désormais saturé de Tantes Yvette couvertes d’excréments,  un robot Asimo  en court-circuit dans leur caddie, et de taupins la bite coincée dans leur exosquelette, parlant en araméen car  leur mémoire HP a grillé.

(A noter qu’en matière de relation client, le casting systématique de personnels originaires du Maghreb dans les centres d’appel  dédiés au SAV n’est pas forcément une bonne idée : ces ethnies sont très fières et se brusquent pour un rien, ce qui conduit la plupart des appels à des opérateurs télécom  à des conclusions du type « Vous m’insultez Mdame je vais raccrocher j’aime pas qu’on m’insulte Nan mais Biiiip». Cela dit c’est peut être fait exprès pour limiter la durée moyenne de communication).

Le dernier cas de figure est celui du luxe, dans lequel on a besoin d’une armée de larbins pour fabriquer un yaourt sur coulis de betterave, qu’on vendra 200 euros rue de Grenelle  à un membre du Conseil Economique et Social amateur de « cuisine légumière ».

 

Ces quelques cas mis à part, quand on voit un travailleur s’affairer à sa besogne, il suffit de s’abonner à Sciences et Vie Junior et d’attendre un peu: une belle innovation disruptive viendra sous peu lui régler son affaire. Pour plus de sécurité et pour gagner du temps, on prendra soin de financer la recherche fondamentale, d’exercer un lobbying efficace pour s’assurer du bon fléchage des financements publics, et de siphonner tout le crédit impôt recherche : nos braves chercheurs du privé comme du public se concentreront ainsi de façon certaine sur le sujet qui compte, à savoir l’éradication de notre besogneux collaborateur. IBM travaille ainsi en ce moment même sur une version « Mouloud » de son robot Watson, qui sera capable de remplacer avantageusement un employé de centre d’appel français « Vous m’insultez Mdame j’vais raccrocher j’aime pas qu’on m’insulte syntaxerror Biiiip ». Quant aux adolescents occidentaux, nombre d’entre eux préfèrent se masturber sur la photo de la fille bleue d’Avatar, ou la section Hentai de You Porn, que sur celle de Scarlett Johansson, cette future chômeuse à grosse bouche.

 

Ainsi va l’ «innovation gap», qui assure une bonne répartition des tâches : à l’entreprise l’innovation, au travailleur devenu chômeur le gap, bien profond si possible. Cela dit c’est pour ce dernier une belle opportunité de rebondir, et de se mettre à son compte dans une activité de recyclage de déchets trouvés dans les poubelles du métro Croix de Chavaux. Un peu comme les ferrailleurs de la « Juggaad » indienne, qui réparent leurs touk touk avec du fil dentaire, et qui font tant rêver dans  les organisations patronales en ce moment.  Le retour à la bonne vieille cueillette, mais en version souterraine en somme, ce qui permet de libérer de l’espace à la surface.

 

Si le capitalisme était un humanisme, ça se saurait depuis le temps. 

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Commentaires
M
Tiens je l'avais raté celui-la. Tu me fais rire, même si je sais que c'est ce qui nous attend dans un avenir proche. Ça, ça me fait beaucoup moins rire.
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C
L'homme moderne a besoin d'un psy et d'un osthéopathe. Il y a encore des professions pleines d'avenir.
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Mademoiselle Dusk
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